Le gaillard débrouillard – Épisode 2/2

Auguste PELTIER, mon arrière-grand-père paternel était un homme bien bâti, à l’allure toujours apprêtée et aux cheveux gominés. Malgré une enfance dans la pauvreté et une jeunesse dans les tranchées, ce brave Auguste a réussi à se construire une vie des plus respectables. Voici son histoire : Épisode 2 : d’époux, de père à grand-père, les événements marquants de sa vie.

Coup de foudre à Paris

Enfin démobilisé en novembre 1919, Auguste retourne à Paris et vit de nouveau dans le XIVe arrondissement de Paris. Il loge au 35 rue Mouton Duvernet lorsqu’il rencontre un an plus tard une jeune relieuse de 21 ans, Reine Caroline MICHAELIS qui travaille dans une des grandes imprimeries du quartier. Peut-être l’a-t-il aussi croisé dans la blanchisserie tenue par ses parents au 17 rue Schomer qui vient d’ouvrir à 500 m de chez lui ?

Détail – Source Gallica.bnf.fr / BNF – Plan de Paris dressé par A. Vuillemin – édition 1894

Auguste et Reine se fréquentent plusieurs mois avant de se marier. Ils s’écrivent beaucoup durant cette période. De ses échanges épistolaires, j’ai retrouvé cette carte datant du 12 janvier 1921 de la main de Reine MICHAÉLIS.

Carte postale – Idylle à Pompei par
Henri DAUDIN – Archives Familiales
Carte postale – Archives Familiales

Paris le 12 janvier 1921 – Mon Auguste chéri – Je fais réponse à votre carte qui m’a causé beaucoup de joie en voyant que mon Gugus ne m’oubliais pas ; je suis bien contente que vous vous dépêchiez pour venir bien vite près de votre petite Reine car elle ne voudrait pas passer le dimanche sans son Gugus. Je m’ennuies déjà assez la semaine. Enfin il faut espérer que vous viendrez en attendant l’heureux moment je vous embrasse bien fort. Votre petite Reine qui vous aime beaucoup – Reine

Auguste et Reine se marient le 14 avril 1921 à la mairie du XIVe arrondissement. Sur son acte de mariage, Auguste se fait appeler Robert Auguste PELTIER. Je ne saurai l’expliquer, un hommage à ses racines maternelles sans doute. Mais à partir de 1921, on le retrouve sous ce nom dans presque tous les documents officiels comme notamment sa carte l’électeur de la Seine.

Archives de Paris  – acte de Mariage PELTIER et MICHAÉLIS – 1921 Mariages 14 14M 271

Le frère de Reine, André Constant MICHAELIS est témoin de cette union pendant sa permission militaire (voir Une blanchisserie à Paris – épisode 2). Auguste deviendra très proche de son beau-frère, ils seront très amis. Antoine JOSSI, l’autre témoin est noté tôlier de profession. c’est en fait un entrepreneur en fumisterie et chauffage central au 33 rue du Mouton Duvernet. Il loge au 35 de la rue comme Auguste. C’est probablement le patron et mentor d’Auguste. Il lui apprendra son futur métier. Antoine a 51 ans, le même âge que Guillaume Frédéric MICHAÉLIS, le père de la mariée.

De leur mariage, nous avons conservé ces magnifiques portraits. Ils ont été pris chez Louis REGIS, photographe au 76 avenue du Maine à Paris XIVe, Il y a 100 ans aujourd’hui.

Auguste PELTIER en avril 1921
Archives Familiales
Reine MICHAELIS en avril 1921
Archives Familiales

Ces portraits font partie de mes photos préférées. Je les connais depuis l’enfance. Je croyais à l’époque que la photo d’Auguste était une photo de mon père déguisé avec des moustaches !!!

Auguste et Reine s’installent au 165 rue du Château à Paris XIVe. Ils y auront de 2 filles, Gisèle Hermance née le 29 août 1922 et Reine Germaine née le 01 août 1924. Ils habitent encore à cette adresse lors du recensement parisien de 1926. Auguste est monteur en chauffage, Reine, sa femme est brocheuse. On notera que PELTIER est écrit PELLETIER avec 2 L. Son nom est malheureusement très sujet aux variations orthographiques surtout quand il a été donné à l’oral à l’agent recenseur.

Archives de Paris – Recensement 1926 Quartier de Plaisance Paris 14ème

Pendant ses années parisiennes, Auguste est un témoin privilégié des événements familiaux de la famille de son épouse Reine MICHAÉLIS. Il est le témoin au mariage d’André Constant MICHAÉLIS, frère de Reine avec Léontine FRATISSIER, le 23 novembre 1923 à Paris XVe puis au mariage d’André Gabriel VAN GEYT avec Germaine Éléonore MICHAÉLIS, soeur de Reine, le 14 août 1926 à Paris XIVe et enfin à celui d’Antoine Eugène BRETON avec Anne Gertrude MICHAÉLIS, tante paternelle de Reine, le 04 septembre 1926 à Paris IIIe.

Signatures d’Auguste PELTIER entre 1921 et 1926

le 14 avril 1921
le 23 novembre 1923
le 14 août 1926
Le 04 septembre 1926

Heureux à Bagneux

En 1928, la famille part à quelques kilomètres au sud de Paris, à Bagneux. Ils achètent une maison au 24 avenue des Carrières. Auguste, à 36 ans, est heureux d’avoir une maison à lui. Cela faisait partie de ses rêves. Il y a même une pergola et un potager.

Léontine FRATISSIER (tante Mimi), Auguste PELTIER et Reine MICHAÉLIS dans le jardin de la maison de Bagneux
Photo prise par André MICHAÉLIS vers 1928 – Archives familiales
Reine MICHAÉLIS, Léontine FRATISSIER (tante Mimi) et André MICHAÉLIS à Bagneux – Photo prise par Auguste PELTIER vers 1928 – Archives familiales
Archives de Paris  – Fichiers des électeurs du département de la Seine (1921-1939) – D4M2 698

Au milieu des années 30, Auguste monte son entreprise de chauffage central : A.PELTIER. Son entreprise fonctionne bien. Il installe le chauffage central dans les belles demeures parisiennes notamment dans le 6ème et le 7ème arrondissement de Paris. Le chauffage central est encore un vrai luxe à l’époque. Reine travaille toujours comme relieuse ou brocheuse.

AD Mayenne – Extrait de la fiche Matricule R1986 – Peltier – 1136 – détaillant les différentes professions d’Auguste
  • 20/07/1925 monteur en chauffage
  • 16/02/1928 mécanicien
  • 01/08/1937 entrepreneur chauffage central
Opercule de bouchon de radiateur à l’effigie de l’entreprise A.PELTIER à Bagneux – Archives Familiales

Auguste et les Croix-de-feu ?

C’est toujours particulier à la lumière d’une recherche sur un ancêtre, de découvrir ses opinions politiques. Dans la mémoire de la famille, Auguste n’avait rien d’un engagé politique et encore moins d’un extrémiste. Auguste est membre des Croix-de-Feu. C’est un ancien combattant et les valeurs de la famille et du travail font partie de son quotidien. Nous sommes en janvier 1936, 4 mois plus tard, le Front populaire remporte les élections législatives.

Source : Gallica.bnf.fr / BNF
Croix de feu ? – 1934

Les Croix-de-feu c’est quoi ?

L’association des Croix-de-Feu, ou Association des combattants de l’avant et des blessés de guerre cités pour action d’éclat (1927-1936), est à l’origine un mouvement d’anciens combattants français de la Grande Guerre qui se transforme ensuite en organisation politique nationaliste. Elle est dirigée par le colonel François de La Rocque (1885-1946). L’association est dissoute en 1936 par le gouvernement du Front populaire, puis remplacée par le Parti social français.

Sources Wikipédia
Source : Gallica.bnf.fr / BNF – Croix de feu ? – 1934

Les valeurs et revendications en 1934 :

  • Droit de regard de l’ouvrier sur la gestion de l’entreprise.
  • Profession organisée : coopération des industries par type d’activité et réunion des travailleurs par branches.
  • Association capital-travail
  • Salaire minimum.
  • Congés payés.
  • Veiller à la qualité des loisirs populaires.
  • Vote des femmes.
  • Réforme des procédés de travail parlementaire.

Comment je l’ai su ?

J’ai retrouvé Auguste dans cet article via une recherche sur Geneanet. Il apparaît dans un journal d’extrême gauche local, le 4 janvier 1936 avec d’autres membres de l’association de la même section comme étant « les ennemis du peuple ». Cette désignation est bien sûr à remettre en contexte avec la situation politique et sociale de l’époque et la promulgation de la Loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et milices privées qui vise dans cet article les Croix de Feu.

Un salon de coiffure pour ses dames

Auguste ( encore sous le prénom de Robert ) achète pour son épouse Reine un salon de coiffure au 118 rue de Paris (actuelle avenue Henri-Ravera) à Bagneux en avril 1941. Est-ce un cadeau pour leur 20 ans de mariage ou pure coïncidence ? Reine son épouse s’est reconvertie dans la coiffure depuis quelques années, Auguste tiendra la caisse. Leurs filles Gisèle (19 ans) et Reine (16 ans) travaillent avec eux.

Portrait de famille à la communion de ses filles Gisèle et Reine en 1935 – Archives familiales

Ma grand-mère Reine, la plus jeune de ses filles obtient son brevet professionnel de coiffeur pour dames, posticheur, le 13 novembre 1945. Ils garderont le salon jusqu’en 1949 ; car après leurs mariages Gisèle vivra à Marseille et Reine à Paris.

Source : Gallica.bnf.fr / BNF – Archives commerciales de la France : journal hebdomadaire… (Paris) 1941-04-30

Souvenir du couvre-feu 1941

Le mardi 9 décembre 1941, Auguste PELTIER est au mariage de sa cousine Georgette ROBERT avec Maurice LEBÉ, à Malakoff (92). Georgette est la petite-fille de Valentine ROBERT grande sœur de la mère d’Auguste, Augustine ROBERT.

Sources Retronews.fr – Paris-Soir – Extrait de la Une du 9 décembre 1941

5) Toute personne contrevenant aux dispositions de cette ordonnance sera punie de la façon la plus sévère. Les sentinelles et les patrouilles allemandes feront usage de leurs armes s’il est nécessaire.

Reine, son épouse, tenait ce jour-là le salon de coiffure à Bagneux avec ses filles Gisèle et Reine. Elles devaient le rejoindre après leur travail chez les parents de Maurice LEBÉ, le jeune époux. Mais elles ont fini tard et sans transport elles n’avaient pas terminé de parcourir les 3 km qui les séparaient de leur destination avant le début du couvre-feu.

Sur le chemin, elles ont entendu une patrouille allemande se diriger vers elles. La menace approchant, elles se sont à la hâte réfugiés dans un immeuble. Effrayées elles n’ont plus osé en sortir ; si bien que ne les voyant pas venir Auguste très inquiet est parti les chercher accompagné de Maurice.

Heureusement, l’histoire finit bien. Auguste retrouva sa femme et ses filles dans la nuit avec soulagement. Mais ils restèrent assez choqués par les événements et passèrent la nuit chez leurs amis.

Que pensez-vous d’Auguste en doublure de Jean Gabin dans la traversée de Paris ?

Auguste PELTIER vers 1940 – Archives familiale

Un grand-père parti trop tôt

Auguste PELTIER et sa famille en vacances vers 1964 – Archives Familiales

Auguste est emporté par un cancer à l’âge de 73 ans, le 26 octobre 1965 dans sa maison de Bagneux qu’il aimait tant en laissant sa femme, ses 2 filles et 5 petits-enfants.

Dans les souvenirs de ses petits-enfants, Auguste était un grand-père tranquille, qui se préoccupait de connaître leurs notes à l’école et qui aimait encore se balader sur son vélo Solex à 70 ans.

Ils se souviennent surtout que leur grand-père était un grand amateur de vin, principalement de Beaujolais de garde, Moulin à vent, Morgon, Fleurie, Juliénas qu’il achetait en tonneau pour mettre en bouteille lui-même pour les conserver dans sa cave. 20 ans après son décès on en buvait encore…

Je souhaite vivement remercier pour cet article mes tantes et mon père pour les documents, photos et témoignages qu’il m’ont transmis. Merci aussi à Colette ma cousine (fille des mariés Maurice et Georgette) rencontrée via Geneanet pour m’avoir raconté le souvenir du couvre-feu.

55 ans après son décès, j’espère avoir pu rendre justice à cet arrière-grand-père courageux et aux différents événements de sa vie; pour que sa mémoire perdure auprès de ceux qui comme moi ne l’ont pas connu.

Création personnelle by Piktochart

À la semaine prochaine pour de nouvelles aventures généalogiques #52ancestors52weeks

10 commentaires

  1. Christelle dit :

    Bravo pour ces deux beaux articles tellement bien documentés ! Que d’informations retrouvées, c’est impressionnant (et très agréable à lire).

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  2. cpgenea dit :

    Une bien belle richesse en documents et photos. Bravo.

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  3. Bravo ! J’aime bien comment vous mêlez la grande et la petite histoire. Ces anecdotes sont succulentes !
    Deux petites coquilles à signaler (malheureusement nous en faisons tous) :
    dans sa maison de Bagneux qu’il aimé (sic) tant en laissant sa femme, ses 2 filles et 5 petits-enfants.
    Ils se souviennent surtout de (sic) leur grand-père était un grand amateur de vin..

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    1. Stéphanie B. dit :

      Merci, c’est corrigé. J’aime beaucoup mettre avant le contexte historique, je trouve que c’est essentiel pour mieux comprendre la vie de nos ancêtres.

      J’aime

      1. Absolument ! J’en fait tout autant d’ailleurs. C’est ce qui permet de comprendre l’environnement dans lequel nos ancêtres vivaient.

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  4. bealct dit :

    Magnifiques photos ! Auguste a bien sa place dans la Traversée de Paris 😉

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  5. guepier92 dit :

    Lecture passionnante. Très bel hommage.

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